Des pistes pour réformer la recherche (Le Monde du 24/09)

En complément d’un précédent mail sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche



Nicolas Ragot



Des pistes pour réformer la recherche

La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, à l’Elysée, en août. LUDOVIC MARIN/AFP

Politiques PubliquesTrois groupes de travail ont remis au gouvernement des propositions pour la future loi de programmation pluriannuelle

Le premier étage d’une prochaine réforme du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche a été allumé. Le 23 septembre, le premier ministre, Edouard Philippe, en présence de Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a reçu les rapports de trois groupes de travail destinés à éclairer le gouvernement sur une future loi de programmation pluriannuelle pour la recherche. Cette dernière avait été annoncée le 1er février devant un parterre de directeurs d’unités du CNRS, réunis pour fêter les 80 ans du premier organisme de recherche français. Mais, malgré la revendication de longue date de la communauté scientifique d’une prévision budgétaire sur plusieurs années des moyens humains et financiers, rien n’avait été dit sur la hauteur des moyens afférents et sur les réformes les accompagnant, poussant à la prudence les différents acteurs.

Sur ces derniers points, il faudra encore attendre, mais des propositions sont désormais sur la table. Sans surprise, les trois rapports posent des diagnostics déjà connus, les experts qui y ont travaillé étant loin d’être les premiers à se pencher sur le problème. Depuis quinze ans, il y a eu, entre autres, des états généraux en 2004, des assises en 2012, un Livre blanc en 2017, un rapport d’information parlementaire de la commission des finances par les députés Danièle Hérin, Patrick Hetzel et Amélie de Montchalin en 2018… Sans compter les productions plus engagées, syndicales ou de la communauté elle-même, comme celles des collectifs Sauvons la recherche (2004), Sauvons l’université (2007), Sciences en marche (2014), RogueESR (2016).

Au 7e rang mondial des publications

Les jugements sévères sont donc de nouveau de mise pour qualifier l’état du système : « urgence à agir »« constat alarmant sur un décrochage rapide »« asphyxie financière des établissements »« trajectoire préoccupante pour l’emploi scientifique »… Plus concrètement, la France dépense 42,6 milliards de moins que l’Allemagne en R&D (chiffre 2016), et la part de la dépense publique représente 0,78 % du PIB contre 0,93 % en Allemagne. Les recrutements d’enseignants-chercheurs ont diminué d’au moins 36 % entre 2012 et 2018, alors que les effectifs d’étudiants sont en hausse de 14 %, et de 27 % pour les chercheurs dans les organismes de recherche. Le salaire des jeunes chercheurs français équivaut à 63 % de celui de la moyenne des pays de l’OCDE et est presque deux fois moindre qu’au Royaume-Uni. Les projets qui concourent pour des financements sur appel d’offres à l’Agence nationale de la recherche (ANR) ont un taux de succès très faible de 15 %, rendant « aléatoire » cette compétition. Et c’est deux fois et demie moins qu’en Allemagne. Un comble, en 2015, l’Inde a publié plus d’articles scientifiques que la France, qui se retrouve au même niveau que l’Italie, au 7e rang mondial.

Ainsi, concernant les moyens, les ressources humaines et les relations avec les entreprises, les thèmes des trois groupes de travail, des améliorations sont possibles.

Le premier groupe estime les besoins de financements supplémentaires au minimum entre 2 milliards et 3,6 milliards d’euros par an (pour une dépense publique actuelle de 19,6 milliards environ). Les principales dépenses visent à rééquilibrer les finances des laboratoires entre des crédits dits de base, apportés par les établissements de recherche, et ceux dits compétitifs, sur appels d’offres. Les premiers, qui permettent notamment de faire fonctionner les laboratoires ou de pouvoir explorer des pistes risquées, ont baissé de 1,7 % entre 2011 et 2017 et mériteraient, selon les experts, d’être augmentés de 500 millions d’euros. Ce serait un moyen de corriger un défaut actuel jugé« économiquement absurde » et qui consiste à « créer des laboratoires ou[à] employer des scientifiques sans leur donner les moyens minimaux de fonctionner ». Cependant ce rééquilibrage se fera à l’aune de l’évaluation de l’« excellence » et de la « performance », et ne concernera donc pas tous les laboratoires.

Le reste de l’enveloppe, auxquels il faudrait ajouter 7 milliards d’euros pour la rénovation du patrimoine immobilier, concerne l’ANR, dont le budget sera augmenté. Les établissements de rattachement des chercheurs bénéficiant de bourses de l’ANR recevront eux aussi des financements.

Côté ressources humaines, le second groupe a évité les chiffrages précis, sauf sur le sujet des rémunérations jugées « indécentes sinon indignes » : 2,4 milliards de hausse à l’issue du plan pluriannuel, essentiellement centrée sur des primes, plus basses actuellement chez les chercheurs que dans d’autres corps de la fonction publique. Les rédacteurs du rapport souhaitent aussi augmenter les rémunérations des doctorants et diminuer la charge d’enseignement des jeunes recrues. Ils veulent aussi expérimenter de nouveaux contrats, tout en « stabilisant les emplois statutaires », comme des CDI de mission scientifique qui s’interrompent à la fin d’un projet, ou des chaires d’excellence junior ou senior, pour recruter hors concours. Il est même question d’« expérimenter » un dispositif très connu à l’étranger, les tenure tracks,où le chercheur n’obtient un poste permanent qu’après quelques années durant lesquelles il confirme son potentiel. L’ordre de grandeur de ces montants importants est connu depuis longtemps, car il équivaut à l’effort nécessaire pour atteindre 1 % du PIB de dépenses publiques, comme dans beaucoup de grands pays développés.

Le troisième volet, sur les liens entre recherche privée et publique, met l’accent sur cinq à sept défis prioritaires pour la recherche et les industries et sur des aides aux start-up. Pour l’instant, le premier ministre ne s’est pas prononcé sur ces nombreuses propositions parfois très détaillées, si ce n’est pour dire que le dossier des rémunérations prendra du temps. Et l’idée d’un quota de 20 % de docteurs dans la haute fonction publique, proposée par le troisième groupe, a suscité chez lui une moue dubitative. Cédric Villani, l’un des rapporteurs, reste optimiste sur la capacité à débloquer ces montants importants, parlant d’un « alignement des planètes favorable », avec des recommandations qui rejoignent celles exprimées par la base.

Néanmoins, certaines recommandations sont susceptibles de soulever des critiques. Notamment celle sur l’équilibre entre les emplois statutaires et précaires (CDD ou CDI de mission), les seconds étant déjà très nombreux. Ou encore sur les effets d’une évaluation renforcée qui impliquerait des différences de moyens et de rémunérations accentuant des inégalités entre laboratoires. Le recours à un pilotage stratégique plus poussé pour renforcer certaines voies de recherche au détriment d’autres pistes pourrait être perçu comme une entrave à la liberté des chercheurs.

Le calendrier de cette loi reste inchangé : un texte présenté avant la fin 2019 pour être voté en 2020 et s’appliquer en 2021.