Tension autour du budget des universités (Le Monde 5/11)

cf aussi : des-pistes-pour-reformer-la-recherche-le-monde-du-24-09/

Tension autour du budget des universités

Camille Stromboni


Le gouvernement ne veut plus compenser systématiquement le coût de l’évolution de la masse salariale des facs

Les crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche ont beau être en hausse de 500 millions d’euros dans le projet de loi de finances 2020, la pilule budgétaire apparaît de plus en plus amère aux universités. Lundi 28 octobre, l’Assemblée nationale a adopté un amendement avec l’appui de certains députés La République en marche (LRM) – contre l’avis du gouvernement – qui retranche 20 millions d’euros à l’enveloppe pour les « formations supérieures et la recherche universitaire », au profit de la Banque publique d’investissement, afin d’aider les PME et les start-up. Alors que les universités jugeaient déjà les moyens « insuffisants », elles ont peu apprécié la manœuvre.

« Donc les universités diminueront leur capacité d’accueil et les candidats non retenus pourront toujours créer des start-up ? », a taclé avec dépit, sur Twitter, un conseiller de la Conférence des présidents d’université (CPU). Celle-ci appelle le « gouvernement et la représentation nationale à un sursaut ». « Avec cette nouvelle dégradation, il manque désormais 110 millions d’euros [aux universités], estime l’institution, pour mener à bien [les] missions de formation, de recherche et d’innovation. » « Ces coupes sombres remettent en cause la mise en œuvre de la réforme des études de santé et empêcheront, à coup sûr, tout accueil d’étudiants supplémentaires », alerte-t-elle.

« Situation délétère »

Les syndicats de personnels SGEN-CFDT et l’organisation étudiante la FAGE ont dénoncé une « stratégie socialement explosive ». « La situation dans les universités est déjà plus que délétère : selon une étude réalisée par la direction des études, de la prospective et de l’évaluation publiée cette semaine, la dépense par étudiant atteint aujourd’hui son plus bas niveau depuis 2008, et le projet de loi de finances pour 2020 ne venait déjà pas renverser la tendance », écrivent les deux organisations dans un communiqué commun. Depuis plusieurs années, les universités accueillent un nombre d’étudiants croissant (+32 700 en septembre 2019), avec l’arrivée des enfants issus du boom des années 2000. « Nous galérons car nos amphis sont délabrés, car nos universités manquent tellement d’argent que des TD [travaux dirigés] ne peuvent être assurés […], et les députés considèrent qu’il est plus important de financer les start-up ? ! », a fustigé l’UNEF.

Cette entaille au budget – qui pourrait être annulée durant la suite des débats budgétaires – intervient dans un climat déjà tendu. Les universités sont en effet vent debout contre une mesure à l’aspect technique, mais cruciale pour leurs budgets : la fin du financement de leur « GVT », le « glissement vieillesse technicité », qui correspond à l’augmentation quasi mécanique de la masse salariale liée à l’ancienneté des personnels. Depuis la loi LRU sur l’autonomie, les universités gèrent elles-mêmes ce GVT. Jusqu’à présent, l’Etat le compensait de manière plus ou moins importante, selon les années. En 2020, selon la CPU, il représentera quelque 50 millions d’euros pour l’ensemble des facs.

Mais dans un courrier du 8 octobre, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a annoncé que « le financement systématique du glissement vieillesse technicité ne sera plus assuré ». Dans les prénotifications des budgets reçues par les facs, la ligne budgétaire a disparu. Désormais, cette compensation, si elle a lieu, sera décidée lors de réunions, baptisées « dialogue de gestion », entre chaque université et sa tutelle, en fonction de leurs stratégies et de leurs projets.

« On est habitué à cette bagarre avec l’Etat autour du GVT », lâche Jean-François Balaudé, président de l’Université Paris-Nanterre et à la tête de la commission moyens de la CPU. Mais c’est une nouvelle variante désagréable : certains se le verront peut-être financer, d’autres non ? » Mais sur quels critères ? s’interroge-t-on déjà. « Ce sont des dépenses qui ne dépendent pas de nous », s’agace-t-on chez les présidents d’université.

« C’est scandaleux, estime Olivier Oudar, vice-président à l’université Paris-XIII, où le GVT représente environ 600 000 euros par an – pour un budget de 182 millions d’euros. C’est du management de boîte privée : vous faites ceci ou cela, sinon on ne vous financera pas… mais nous avons un service public à assurer. » A ceux qui espéraient un retour en arrière, Frédérique Vidal a confirmé cette décision lors d’une audition au Sénat mercredi 23 octobre. Interpellée par plusieurs parlementaires sur cette évolution – dont Philippe Berta (LR) qui rappelait que ce GVT peut représenter de 100 000 euros à 2 millions d’euros selon les établissements –, la ministre a expliqué que la « question était extrêmement variable d’un établissement à l’autre » et que le GVT n’était pas forcément bien calculé jusqu’ici.

« Il y a une vraie hypocrisie à afficher des moyens et ne plus financer le GVT, persiste Mathias Bernard, à la tête de l’université Clermont-Auvergne. Dans son établissement, « déjà sur le fil », cette dépense représente entre 1,4 million et 2 millions d’euros par an. « Qu’on nous le dise clairement : vous devez “geler” les deux tiers des emplois vacants chaque année. Car c’est bien cela que ça signifie chez moi », avance-t-il. Geler ? C’est en effet le principal levier d’économies des universités : il consiste à ne pas remplacer les départs en retraite et les mutations.

Depuis plusieurs années, les plans d’économies s’enchaînent dans les universités. Entre cinq et dix établissements se retrouvent en grande difficulté tous les ans (sur quelque 75 universités), évalue-t-on à la CPU. Trois étaient en déficit en 2018, d’après les documents budgétaires, huit en 2017. Parmi elles, l’université du Mans met en place, depuis un an, un « plan de redressement ». Avec un GVT qu’elle évalue à 400 000 euros par an, elle n’ouvrira cette année au recrutement qu’un poste vacant sur deux. « En dépit de la gestion extrêmement rigoureuse de son budget, l’université doit faire face à une augmentation sans précédent de ses effectifs (près de 16 % ces deux dernières années) », rappelle son président Rachid El Guerjouma, avec des « filières en tension » comme le droit, la gestion, l’informatique ou les Staps (sciences techniques des activités physiques et sportives).

Pour marquer leur ras-le-bol, les enseignants de Staps ont décidé de « démissionner » en bloc de leurs fonctions administratives en cette rentrée. Ils demandent sept postes supplémentaires, contre deux obtenus. « On n’en peut plus, nous sommes à un ratio d’encadrement d’un enseignant pour 48 étudiants », décrit le directeur, Patrick Fanouillet. Les effectifs, ces dix dernières années, ont presque triplé pour atteindre 955 étudiants, quand le nombre d’enseignants-chercheurs titulaires n’a, lui, progressé que de 17 à 20.